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Le Trésor de Béhanzin, bientôt restitué au Bénin ?

 Les trois statues royales à l’effigie des Rois du Dahomey, exposées au Musée du Quai-Branly Jacques Chirac, Paris, photographie personnelle
Les trois statues royales à l’effigie des Rois du Dahomey, exposées au Musée du Quai-Branly Jacques Chirac, Paris, photographie personnelle

Introduction

Le 29 septembre 2019, Jacques Chirac, cinquième président de la Ve République quitte ce monde et laisse un héritage controversé : le Musée du Quai-Branly, anciennement musée des arts premiers. 19 590 visiteurs s’y sont rendus le 29 septembre, gratuit pendant deux semaines suite au décès de l’ancien chef d’État. Un record de fréquentation pour une structure qui plafonne à 5 000 visiteurs le dimanche. [1] A l’entrée des collections Afrique figurent trois majestueuses statues anthropomorphes, lors des visites guidées, elles interpellent. Ce sont les rois du Danhomè[2], royaume des fons, terre mythique, des amazones, du vodun, mais aussi d’un sombre commerce, la traite négrière. Il y a deux ans à peine s’exprimait ainsi le Président Emmanuel Marcon à leur sujet « Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Il doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou […]. Ce sera l’une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique. »[3] Telles furent ses paroles lors de la Conférence de Ouagadougou le 27 novembre 2017. Si cette déclaration évoquait les œuvres d’art acquises en contexte colonial, elle vise particulièrement les objets réclamés par la République du Bénin. En 2013, le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) lança une campagne pour demander la restitution des trésors africains à leurs pays d’origine Cette campagne fut présentée à l’Unesco et au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, soutenue par Jean Gervais Tchiffi Zié (le secrétaire général du Forum des rois et leaders traditionnels d’Afrique). La demande de restitution concerna 5000 artefacts provenant de divers pays africains. Le ministre des affaires étrangères français de l’époque, Jean Marc Ayrault, refusa d’y accéder. Le président du Bénin, Patrice Talon, formula une demande officielle de restitution le 27 juillet 2016. Les objets concernés furent apportés par le général Dodds, suite à la conquête du Dahomey (ancien royaume situé dans l’actuel Bénin) en 1894. Il s’agit : des statues des souverains Béhanzin, (mi-homme mi-requin), Ghézo, (mi-homme mi-oiseau) et de Glèlè, (mi-homme mi-lion), des portes du palais royal des trônes, des bas-reliefs et tentures d'Abomey. Aujourd’hui, ils sont exposés au musée du Quai-Branly. Le rapport Savoy-Sarr, paru en novembre 2019 stipule qu’il faut rendre 26 objets. Plusieurs questions se posent avec acuité. En quoi la restitution des œuvres d’art béninoises cristallise-t-elle les enjeux géopolitiques mémoriels liés au passé colonial français ?

 

 

« Le contexte d’acquisition va donc être déterminant dans le traitement des demandes de restitutions » [5]Quel est-il pour ce qui est de l’art royal du Danhomè ? Une première étape de restitution concernerait « les statues et regalia provenant du sac d’Abomey de 1892, en particulier les pièces suivantes : statue bochio à l’image du roi Ghézo, Statue royale anthropo-zoomorphe, Statue royale anthropo-zoomorphe. Quatre portes du palais royal. Siège royal Sculpture dédiée à Gou, Trône du roi Glèlè, Trône du roi Ghézo. » « Les autres pièces de même provenance seraient restituées dans un second temps. » [6], poursuivent-ils. Revenons sur cet épisode historique.

 

 

 

 

I) le « Trésor de Béhanzin », entre butin de guerre et spoliation : un contexte d’acquisition problématique

Général Alfred Amédée Dodds, Photo Ogerau (Paris)[8]
Général Alfred Amédée Dodds, Photo Ogerau (Paris)[8]

A) La conquête du Danhomè

 

 

 

Le Bénin est une ancienne colonie française. La conquête fut si violente, que l’on parla de « guerres du Dahomey ». En effet, les troupes du général Dodds arrivèrent sur une terre habitée et organisée par une royauté puissante, dirigée par le roi Béhanzin 1er. Le souverain n’accepta pas l’occupation de la ville portuaire de Cotonou. Il lança un assaut préventif contre les troupes françaises. La confrontation dura deux ans : du 4 juillet 1892 au 15 janvier 1894. Le royaume fut conquis au cours de la bataille de Cotonou. Abomey, capitale politique, fut prise le 12 novembre 1892. Le but était d’établir une domination sur le pays.

 

 

« L’ère de la conquête aussi sera bientôt close au Dahomey, [...] Quel que soit le sort réservé à l’ancien roi du Dahomey — suicide, fuite, capture par nos troupes ou soumission volontaire — on peut désormais considérer Béhanzin comme une quantité négligeable, dans ce pays où nous avons établi notre protectorat, et où le peuple dahoméen, qui n’a jamais eu d’homogénéité ethnographique, ne pourra plus se reconstituer en État politique. »[7].

 

 

Le roi Béhanzin incendia le royaume, cacha les objets royaux et s’exila en Martinique. Le général Dodds rapporta une partie du trésor royal comme butin de guerre. Ce dernier est aujourd’hui appelé le « Trésor de Béhanzin ». On appelle les œuvres issues de la Cour de Béhanzin : regalia. Ils furent fabriqués pour glorifier le souverain et les dignitaires de la Cour. Les récades sont des sceptres royaux. Ils sont sertis de l’animal emblématique du souverain. Chaque roi choisissait son animal en fonction de ses qualités morales ou physiques. Les bocios royaux en sont l’exemple le plus édifiant. Il s’agit des fameuses statues anthropomorphes des rois Ghézo Glèlè et Béhanzin. Elles étaient placées à l’avant des troupes, lors des combats pour effrayer les ennemis et tenaient des armes. D’où leurs postures agressives et les trous dans leurs mains. Le don du Général Alfred Dodds contient une statuaire religieuse corrélée au culte vaudou. A sa mort, le Général Dodds fit don de l’ensemble de son butin au musée ethnographique du Trocadéro, qui devient le Musée du quai Branly en 2006. Voilà donc l’histoire de cette collection.

 

 

 

B) L’entrée des objets dans les collections officielles françaises

 

      La statue de Gou à l’exposition temporaire de 1931 au musée du Trocadéro « Ethnographie des colonies françaises ». Au centre, le trône de Béhanzin, au fond les statues de Ghézo et de Glélé.© musée du quai Branly, photo Rigal
La statue de Gou à l’exposition temporaire de 1931 au musée du Trocadéro « Ethnographie des colonies françaises ». Au centre, le trône de Béhanzin, au fond les statues de Ghézo et de Glélé.© musée du quai Branly, photo Rigal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les œuvres font partie du champ des spolia. Les butins de guerres entrent dans cette catégorie. Gaëlle Beaujean Baltzer, conservatrice des collections Afrique au Musée du Quai Branly explique dans Artistes d’Abomey[9], que la constitution du butin de guerre s’organise spontanément, par « tradition militaire ». Cette manière d’amener des œuvres sur le sol français, est similaire aux spoliations des œuvres italiennes lors des conquêtes napoléoniennes. Les artefacts du royaume d’Abomey étaient considérés comme des trophées, symbolisant la puissance coloniale française. A l’inverse, ils soulignaient la défaite du peuple colonisé, en plus de légitimer l’Etat dans sa mission civilisatrice. Entre 1893 et 1895, une partie des objets intégrèrent le musée de l’Armée, et vingt-sept furent exposés au Musée du Trocadéro. Au début du XXe siècle, ils devinrent une source d’inspiration pour des artistes de l’avant-garde européenne, comme Henri Matisse ou Pablo Picasso. Certains furent vendus aux collectionneurs par les autochtones eux-mêmes. Au début du XXe siècle, on retrouva des traces de ces derniers sur le marché parisien, labellisé : « trésors de Béhanzin » par les colons.[10] Des objets issus de la collection du Général Dodds, étaient présents sur des cartes postales. Elles furent éditées et vendues à l’initiative de son héritier : le colonel Achille Lemoine. Les œuvres se transformèrent en curiosités exotiques soumises à la consommation. Le statut des pièces est multiple dans le secteur public ou privé. Aujourd’hui, la plupart de ces chefs-d’œuvre sont actuellement conservés au musée du Quai Branly Jacques Chirac. Cette collection est l’une des plus importantes et des plus représentatives de l’art de cour du Dahomey hors du continent africain.

 

 

C) Que retient l'Histoire ?

   Marie Cécile Zinsou lors du débat « faut-il rendre les œuvres d'art à l'Afrique ? » diffusé sur ARTE le 7 mars 2018 capture d'écran
Marie Cécile Zinsou lors du débat « faut-il rendre les œuvres d'art à l'Afrique ? » diffusé sur ARTE le 7 mars 2018 capture d'écran

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Cécile Zinsou préside la fondation Zinsou pour l’art contemporain africain. Franco-béninoise, elle est la fille de Lionel Zinsou, candidat à l’élection présidentielle de 2016, et Premier Ministre du gouvernement béninois du 18 juin 2015 au 6 avril 2016. Elle milite pour la restitution des œuvres Béninoises. Lors d’une interview parut dans le Monde, elle tint les propos suivant à propos des cartels du Quai Branly : « Dès lors, que le Quai Branly affiche « Don d’Amédée Dodds » sur les cartels [notices] de certaines collections, c’est du mépris pour les Africains. Certains dons de collectionneurs sont légitimes, c’est comme cela que fonctionnent les grands musées dans le monde entier. Mais pas ceux du Général Dodds ! Ils ont été́ pillés au terme d’une guerre injuste. »[11]

 

D’après elle, le terme « don » n’est pas acceptable car il minimise la réalité historique de ce patrimoine qui fut enlevé à sa terre d’origine. Omettre ces faits serait une forme de non-reconnaissance de ce passé colonial, avec lequel la France entretient encore un rapport conflictuel. Cette posture, en apparence neutre, rappelle la réponse qu’Hélène Le Gal (conseillère Afrique de l'Elysée) avait donnée lors de la première demande de restitution des œuvres formulée en 2015 par le CRAN. Dans une lettre datant du 26 juin 2015, elle répondit en ces termes :

 

« Je vous informe que les objets auxquels vous faites référence sont entrés dans les collections nationales de manière régulière. Désormais devenus inaliénables, la plupart d'entre eux ont été́ acquis il y a longtemps et en conformité́ avec le droit international en vigueur. ». Si les œuvres furent acquises légalement par l’Etat, grâce à la donation de leur propriétaire, il demeure que le Général Dodds les a pillées. Or, en 2015, le ministère nie ce « pillage » en l’absence du document officiel de l’époque qui attesterait de cet acte. Toutefois, la connaissance de plusieurs sources historiques dont une lettre du général Dodds adressée à̀ son frère, datée du 20 janvier 1894[12], quelques jours après la capitulation de Béhanzin, fait mention d’un « partage d’objets » (bracelets, objets d’art, etc.) et d’une « chasse à la collection ».

 

 

Dès lors, si des archives attestent de cette réalité, la France ne peut ignorer ce passé face aux revendications du Bénin. Le passé colonial est encore sujet au débat. Le président de la République Française affirma lui-même devant la radio algérienne Echrouk News, que la colonisation était un crime contre l’Humanité. La question de la capacité de l’arsenal juridique français à relever le défi de la restitution représente un enjeu complexe.

 

 

II) L’arsenal juridique français face au défi de la restitution

Le rapport Savoy-Sarr insiste sur le problème juridique posé par le statut des œuvres d’art concernées. Il mentionne la jurisprudence liée aux restes humains, mais qu’en est-il du Trésor de Béhanzin ?

 

 

A) Quel statut juridique pour le « Trésor de Béhanzin » ?

 

 

 

Depuis la réforme du Code du Patrimoine du 20 février 2015, les autorités ont hiérarchisé la composition de leur patrimoine en deux catégories.

 

L’article L111-12 du Code du Patrimoine définit ainsi les trésors nationaux : « biens appartenant aux collections des musées de France ; archives publiques ; biens classés au titre des monuments historiques ; autres biens faisant partie du domaine public mobilier, au sens de l'article L. 2112-13 du code général de la propriété des personnes publiques. »

 

Les biens culturels sont hiérarchiquement inférieurs aux trésors nationaux. Ils sont définis par l’article L111-24 du Code du Patrimoine, en fonction de leur valeur et de leur ancienneté.

 

Les objets concernés par la restitution sont des trésors nationaux, car ils sont exposés de manière permanente dans les musées. Ils sont soumis à un régime spécial répondant aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité d’insaisissabilité. Les biens culturels, propriétés nationales, sont assimilés à des res publicae, soit des choses publiques, établies pour la jouissance de la collectivité. L’inaliénabilité - qui ne peut être cédée, tant à titre gratuit que payant, ni grevé de droits réels - est soutenue par l’article 11 de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002, relative aux musées de France. L’imprescriptibilité n'est par définition pas susceptible de s'éteindre par prescription. C’est un principe soutenu également par l’article 11 de la loi relative aux musées de France. L’insaisissabilité – qui ne peut être saisi – s’explique par le caractère public des biens. L’article L.2311-1 du Code général de la propriété des personnes publiques explicite le fait que tous les biens publics sont insaisissables.

 

 

B) L’éthique de la propriété culturelle face à l’idéal universaliste

 

 

La république du Bénin estime que ces biens constituent son patrimoine culturel et immatériel. Sa volonté est de les faire figurer dans ses collections nationales. Elle est appuyée par l’idée de reconstituer une Histoire manquante. En effet, 90% du patrimoine culturel de l'Afrique se trouve en dehors du continent [12bis]. Dominique Poulot, dans Patrimoine et Musées révèle que, seuls 2% des musées du monde en 2000 sont situés en Afrique[13]. Il y aurait une polarisation du patrimoine dans l’hémisphère Nord de la planète. Certains pays seraient lésés sur le plan culturel.

 

Marie Cécile Zinsou, dans une interview de France culture intitulée : “Art africain, partage ou restitution” menée Christine Ockrent, estime que 150 ans d’Histoire manquent aux Béninois. Elle fait part de la volonté étatique de mieux connaître, gérer et valoriser le patrimoine. En 2018, le pays eut accès à un financement de la banque mondial, accordé au ministère de la culture. Elle avance l’argument de la forte demande du peuple béninois à jouir de son patrimoine. Vingt-six mille trois cent personnes se sont rendues en un mois, à l’exposition dédiée au roi Béhanzin, tenue en 2006 à la fondation Zinsou à Cotonou. Elle accueillit pour la première fois, les œuvres exposées actuellement au Quai Branly. Aujourd’hui, le Bénin est majoritairement animiste, ceci représente plus de 80% de la population. La religion vaudou constitue une part importante de la culture béninoise.

 

 

Avant la parution du rapport Savoy-Sarr, le directeur du musée du Quai Branly, Stéphane Martin, au sein d’une interview dans une émission de France Culture, pense que la restitution relève du fantasme. Il est impossible de rendre tous les biens spoliés aux différentes nations du monde. De plus, les musées seraient par essence, des lieux de partage du savoir de l’humanité comme les bibliothèques. Les revendications de propriétés d’une communauté ne devraient pas dépasser la dimension universelle de ce partage. Dominique Poulot, dans ce même chapitre[14], cite cet argument comme caractéristique des musées qui se veulent universels. Cependant, cette universalité est confrontée à une dynamique d’autoreprésentation et aux ambitions communautaires de ceux qui se revendiquent héritiers de ce patrimoine.

 

Mais, cette restitution est aussi un gage d’amitié entre les deux pays. Cette volonté est soutenue par Marie-Cécile Zinsou et Aurélien Agbenonci, Ministre béninois des Affaires étrangères. Il explique dans une interview exclusive sur TV5Monde datant du 4 avril 2017 que « cette demande faite par voie diplomatique, concerne deux pays amis ». En acceptant de répondre à cette demande, la France compromet son idéal universaliste, toutefois, il s’agit aussi d’un acte pacificateur à l’égard de la mémoire collective. Le pays s’illustre comme une « grande nation », faisant amende honorable de son passé. Maintenir une bonne entente avec le Bénin, lui permettrait de s’implanter plus durablement sur son sol, ce qui faciliterait les futurs échanges avec le pays.

 

 

C) Le défi du déclassement

 

 

La loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002, a élaboré une procédure de « déclassement » permettant à un objet exposé dans un musée français de perdre son statut d'inaliénabilité, imprescriptibilité, insaisissabilité. La décision appartient à une commission scientifique. La composition cette commission est la suivante :

 

· Quatre membres de droit, représentants de l'Etat : Le directeur général des patrimoines ; Le directeur général de la création artistique ; Le responsable du service chargé des musées à la direction générale des patrimoines ; Le responsable du service chargé du patrimoine à la direction générale des patrimoines ;

 

 

 

· Un député et un sénateur ;

 

 

 

· Trois représentants des collectivités territoriales : Un représentant de l'Association des régions de France ; Un représentant de l'Assemblée des départements de France ; Un représentant de l'Association des maires de France ;

 

 

 

· Neuf membres professionnels de la conservation des collections.

 

 

 

Cependant, L'article L.451-7 du code du Patrimoine, dispose que les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l'État, ceux qui ont été acquis avec l'aide de l'État, ne peuvent être déclassés. Les trésors nationaux du Dahomey présent en France sont en théorie issus d’une donation. La restitution est donc compromise.

 

L’arsenal juridique apparaît comme une impasse. Il satisferait la France, mais ne serait pas en accord avec les revendications historiques, morales, et sociales du Bénin. En plus, de l’aspect juridique, il se superpose d’autres enjeux que la loi seule ne peut résoudre.

 

 

 

 

 

 

III)  La restitution face aux enjeux transnationaux

A) La diplomatie face au droit : le Rapport Savoy-Sarr

 

 

Une solution juridique existerait sous la forme d’un accord bilatéral, permettant le déplacement des œuvres entre les deux pays. Cette circulation des Trésors Nationaux est autorisée par la loi du 31 décembre 1992. Il s’agirait d’une autorisation d’exportation temporaire renouvelable à volonté. L’accord est possible à titre exceptionnel pour restauration, expertise, participation à une manifestation culturelle, exposition ou dépôt dans une collection publique. Ce retour au pays des œuvres n’est pas un équivalent juridique de la restitution, mais il permettrait de contourner l'article L. 451-7 du code du Patrimoine. Si la connaissance du droit permet d’entrevoir une solution de forme, le défi de fond reste irrésolu car il n’est pas uniquement juridique. C'est pourquoi le Président de la République commanda en 2017 un rapport à l'historienne d'art Bénédicte Savoy, membre du Collège de France, et à l'écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr. Ils ont rendu leur avis en novembre 2018. Il est intitulé Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle.

 

 

En constituant la commission de professionnels du patrimoine, le droit fit naître un paradoxe. Il prend en compte des éléments de fait et non plus seulement de droit. L’avis des membres risque de pencher en faveur de la conservation des biens dans les musées français. Leur mission étant de les rendre attractifs. Déclasser des Trésors Nationaux, afin de les restituer serait synonyme de perte d’attractivité. La décision fut influencée sur la prétendue capacité de l’établissement d’accueil à conserver et mettre en valeur les œuvres. Par exemple, le commissaire d’exposition André Magnin considère en 2017 qu’un retour de ces trésors au Bénin serait un risque inconsidéré, car ils seraient nécessairement endommagés. En outre, les pays préfèrent engager un discours entre acteurs diplomatiques afin d’éviter les tribunaux. L’engagement de procédures fait naître un contentieux juridique. Ceci serait une preuve d’une mésentente entre les pays concernés. Emmanuel Macron a donc constitué une mission « réflexion et de consultation ».

 

 

« La procédure de restitution suppose une évolution du droit positif, dans le cadre d’une modification du code du patrimoine, articulée avec le principe d’inaliénabilité des collections publique »[15] Stipule le rapport Savoy-Sarr avant de mentionner une lutte contre le trafic illicite des œuvres d’art. La solution retenue est la suivante. Elle « repose sur le lien indissociable entre la procédure de restitution nouvelle introduite au Code du patrimoine et l’accord de coopération bilatéral qui fonde la dérogation au principe général d’inaliénabilité et la limite à cette seule hypothèse. Ce procédé existe dans d’autres domaines, notamment en matière médicale, qui permet de soumettre à l’existence d’un accord bilatéral une dérogation au droit commun législatif au bénéfice d’un pays tiers. Cette procédure nouvelle s’insèrerait au Livre 1 du Code du patrimoine consacré aux « Dispositions communes à l’ensemble du patrimoine culturel » ; ce choix du Livre 1 est dicté par le souci de ne pas limiter les restitutions aux biens formellement entrés dans les collections des musées. Bien qu’elles soient certainement de loin les plus riches en objets africains restituables, le processus pourra concerner d’autres objets relevant du code du patrimoine (archives, ouvrage des bibliothèques).[16] La restitution requiert alors une modification du code du patrimoine. [...] Elle est entreprise sur la base de la demande formelle du pays demandeur, qui pourra être déposée rapidement pour les objets dont l’origine et les conditions d’acquisition sont suffisamment connues pour que l’établissement du dossier d’instruction ne nécessite pas de travaux de recherches. Pendant la durée de validité de l’accord de coopération, renouvelable selon la volonté des Parties, d’autres demandes pourront porter sur une (des) liste(s) d’objets dont l’intérêt et la provenance auront été étudiés dans le cadre des partenariats de recherche prévus par le(s) programme(s)d’action triennaux (voir infra: b)L’accord de coopération).La commission paritaire d’experts désignés par les deux Etats parties, dont la composition et les missions sont fixées par chaque accord de coopération, évalue les dossiers d’instruction des objets de la liste qui lui sont soumis. Pour formuler son avis, elle apprécie les éléments relatifs à la provenance des objets et, si les conditions de l’acquisition initiale ne peuvent être clairement établies, leur complémentarité avec d’autres objets restitués ou leur intérêt pour le pays ou la communauté d’origine. »[17]

 

 

 B) « Bénin Révélé », le pari ambitieux de Patrice Talon sous l’égide des restitutions

 

 

En 2016, les initiatives prises par le nouveau gouvernement de Patrice Talon visent dynamiser le pays. Le premier mandat du Président du Bénin est marqué par le projet « Bénin Révélé ». Un audit complet du pays est en cours afin de préparer des chantiers prioritaires de développement du pays. Il repose sur trois piliers : consolider la démocratie, l’état de droit et la bonne gouvernance, engager la transformation structurelle de l’économie, améliorer les conditions de vie des populations. Le développement touristique fait partie intégrante de ce plan d’action « L’Agence Nationale de promotion des Patrimoines et de développement du Tourisme (ANPT) a pour mission de faire du Bénin une des destinations phares en Afrique de l’Ouest. Pour cela, son rôle est de mettre en valeur le patrimoine naturel, historique et culturel. Cela passe par la création et le développement de projets touristiques innovants, qui offriront une expérience unique aux futurs visiteurs du Bénin. Le secteur privé sera amené à jouer un rôle central dans le développement de ces projets. L’ANPT accompagnera et apportera un soutien technique et financier à ces futurs partenaires. Une fois ces projets phares développés, l’Agence aura pour mission d’assurer la promotion de la destination Bénin. »[18]

 

M. Koupaki, ministre de la culture affirme vouloir « inventer un lien original entre patrimoine et tourisme, développer de grands projets structurants, rendre séduisante et authentique la destination du Bénin et créer des emplois et des richesses » puis « enfin, rayonner à l’international »[19]. La restitution est aussi un moyen d’asseoir l’autorité et la légitimité de ce nouveau gouvernement béninois, auprès de sa population et sur la scène internationale.

 

 

C) Une gestion controversée du patrimoine ?

 

Sans un financement extérieur, cette politique touristique nouvelle serait difficilement réalisable. Une nouvelle problématique vient aussi se greffer : que faire une fois les œuvres restituées ? Il est prévu que les œuvres soient accueillies au Musée ethnographique Sènou Adandé de Porto Novo en attendant la réalisation des diverses infrastructures touristiques contenues dans le Programme « Bénin Révélé ». Après la parution du rapport Savoy-Sarr, le pays a d’ailleurs demandé à la France de retarder la restitution des œuvres à 2021, date d’achèvement des projets touristiques.

 

L’une des critiques formulées par la France, fut la suivante : le Bénin ne dispose actuellement pas de structures adéquates pour recevoir les œuvres. Contre toute attente, cet avis est partagé par de nombreux béninois. Ainsi l’exprime le plasticien béninois Romuald Hazoumé dans un article de presse daté du 8 octobre 2016 : « Ils n’ont qu’à̀ m’arranger tous les palais d’Abomey de tous les rois qui existent, à l’identique de la construction de départ. Ensuite, qu’ils arrangent toutes les maisons afro-brésiliennes qui existent à Ouidah et à Porto-Novo, juste les toitures. A ce moment-là̀, on pourra parler de patrimoine. »[20]

Ci-joint, un reportage de France 24 « Bénin : à Porto-Novo, le patrimoine afro-brésilien s'écroule... et l'histoire de l'esclavage avec »

Marie Cécile Zinsou, actrice majeure des restitutions du Trésor de Béhanzin, partage aussi ce point de vue. Tous deux pensent qu’il faudrait revoir la politique culturelle béninoise vis-à-vis du patrimoine local. Ils en déplorent l’état de délabrement. Romuald Hazoumé critique la faiblesse législative du système et sa passivité. Pour le moment, les principaux acteurs de la vie culturelle béninoise sont privés. L’État béninois, comme le souligne Marie Cécile Zinsou et Romuald Hazoumé, néglige aussi la création des artistes contemporains. Le Bénin ne possède pas de structure publique pour les accueillir, et ne sollicite pas de commande publique. Étonnamment, le Bénin ne possède pas d’œuvres de ses propres artistes contemporains. La plupart, comme Romuald Hazoumé sont obligés de s’exporter pour se faire connaître. Si le volet touristique du projet « Bénin Révélé » valorise bel et bien le patrimoine historique du pays, qu’en est-il des artistes contemporains ?

 

Pour approfondir ce vaste sujet, j’invite le lecteur à se pencher sur le travail de Ninon Bonhomme, l’Histoire du Musée Historique d’Abomey et le discours colonial au musée,[23]une étude complète de le politique culturelle béninoise, disponible en consultation libre à la Documentation de l’Institut National d’Histoire de l’Art à Paris.

 

      

Bibliogaphie


Ouvrages et articles de presse

 

 

Artistes d’Abomey 2009 : Artistes d’Abomey: dialogue sur un royaume africain, Paris, France, 2009.

 

Beaujean-Baltzer 2007 : Gaëlle Beaujean-Baltzer, « Du trophée à l’œuvre : parcours de cinq artefacts du royaume d’Abomey », Gradhiva. Revue d’anthropologie et d’histoire des arts, 6, p. 70‑85.

 

Carducci 1997 : Guido Carducci, La restitution internationale des biens culturels et des objets d’art volés ou illicitement exportés: droit commun, directive CEE, Conventions de l’Unesco et d’Unidroit, Paris, France, 1997.

 

Chacha 2018 : Chacha Dios, Bénin/tourisme, développement d’un complexe hotelier à Avlékété, https://www.lespharaons.com/benin-tourisme-developpement-dun-complexe-hotelier-a-avlekete/

 

 

Dodds,1893 : Alfred-Amédée Dodds, Chronique de la Revue des deux-Mondes, 1893, disponible en consultation libre sur Gallica

 

Hershkovitch, Rykner, Maget 2011 : Corinne Hershkovitch, Didier Rykner, Antoinette Maget, La restitution des oeuvres d’art: solutions et impasses, Paris, France, 2011.

 

Michel 2001 : François Michel, La campagne du Dahomey, 1893-1894: la reddition de Béhanzin : correspondance d’un commissaire des colonies présentée par son petit neveu Jacques Serre, Paris, France, 2001.

 

Pierrat, 2011, Emmanuel Pierrat, Faut-il rendre les œuvres d’art ? - CNRS Editions, 2011

 

Poulot 2014 : Dominique Poulot, Patrimoine et musées: l’institution de la culture, Paris, France, 2014.

 

Restitution des biens culturels mal acquis 2018, : « Restitution des biens culturels mal acquis : à qui appartient l’art ? », Le Monde.fr.

 

Royer 2016 : Marie Royer, Le Bénin réveille la notion de biens culturels mal acquis (https://www.lepoint.fr/culture/le-benin-reveille-la-notion-de-biens-culturels-mal-acquis-02-08-2016-2058565_3.php, consulté le 13 octobre 2019).

 

Sarr, Savoy 2018 : Felwine Sarr, Bénédicte Savoy, Restituer le patrimoine africain, Paris, France, 2018.

 

Tin, 2017 : Louis Georges Tin « « La restitution des œuvres issues des pillages coloniaux n’est plus un tabou » », Le Monde.fr.

 

2019 : La fréquentation explose au musée du Quai Branly-Jacques Chirac (https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-frequentation-explose-au-musee-du-quai-branly-jacques-chirac_2100589.html,

 

 

 

Mémoires de recherche

 

 

bonhomme, 2019 : Ninon bonhomme, l’Histoire du Musée Historique d’Abomey et le discours colonial au musée, 2019, Documentation de l’Institut National d’Histoire de l’Art, Paris

 

 

 

Entrevues

 

 

Eustache agboton, « Demande de la restitution de biens culturels : une fausse bonne idée », beninculture.com, paru le 8 octobre 2016 :

 

https://www.benincultures.com/fr/demande-de-restitution-de-biens-culturels-une-fausse-bonne-idee-selon-romuald-hazoume/

 

Michel serge, « Entretien avec Marie-Cécile Zinsou : « L’art africain vit un moment qui ressemble à la Renaissance italienne », 27 avril 2017 :

 

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/27/marie-cecile-zinsou-l-art-africain-vit-un-moment-qui-ressemble-a-la-renaissance-italienne_5118785_3212.html

 

 

 

Vidéos

 

Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à L'université Ouaga I, Professeur Joseph Ki-Zerbo, à Ouagadougou, prononcé 27 novembre 2017 :

 

https://www.dailymotion.com/video/x6aqd4k

 

Reportage France24, 4 août 2016 :https://www.youtube.com/watch?v=xnIXe10CiM8

 

Émission, RFI, 15 août 2016, https://www.youtube.com/watch?v=R99GQEe3egc

 

 

 

Autres

 

Podcast : Christen Ockent : https://www.franceculture.fr/oeuvre/la-restitution-des-oeuvres-dart-solutions-et-impasses-0

 

https://www.legifrance.gouv.fr/

 

 S. d. : général Dodds (http://www.military-photos.com/dodds.htm,

 

 

 

Sites internet

 

 

https://www.cityzeum.com/guide/le-benin-8946

 

http://revealingbenin.com/agencies/tourisme/

 

https://presidence.bj/home/benin-revele/decouvrir-benin-revele/

 

[1] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-frequentation-explose-au-musee-du-quai-branly-jacques-chirac_2100589.html

 

[2] Deux orthographes sont possibles Danhomè est l’orthographe initiale en langue fon, Danhomey est l’orthographe attribuée au territoire après la conquête.

 

[3] Paroles prononcées par Emmanuel Macron, lors du discours de la Conférence de Ouagadougou le 27 novembre 2017

 

[4] http://collections.quaibranly.fr/#b72e8fe6-7870-4115-a5a4-23a3cdbf8b54

 

[5] SARR, SAVOY 2018, p.64

 

[6] Ibid, p.55

 

[7] Dodds,1893, p. 953

 

[8] http://www.military-photos.com/dodds.htm

 

[9] Beaujean-Baltzer, Geoffroy-Schneiter, Martin, 2009.

 

[10] Beaujean-Baltzer, 2007

 

[11] SERGE M., « Entretien avec Marie-Cécile Zinsou : « L’art africain vit un moment qui ressemble à la Renaissance italienne », Le Monde, 4 avril 2017.

 

[12] Michel, 2001

 

[12bis] Voir l’allocution d’Alain Godonou au Forum de l'UNESCO sur la mémoire et l'universalité, le 5 février 2007, dans Témoins de l'histoire : Recueil de textes et documents relatifs au retour des objets culturels, Paris, UNESCO, 2011, p. 63 : « La situation des pays africains, notamment au sud du Sahara, et je ne parle pas évidemment ici de l’Égypte, est très différente. Il y a un constat de déperdition massive, quantitative et qualitative. Statistiquement, je pense qu’on peut dire en faisant la somme des inventaires des musées nationaux africains, qui tournent autour de 3 ou 5 000 quand c’est des grosses collections, que 90 à 95 % du patrimoine africain sont à l’extérieur du continent dans les grands musées. Une autre partie de ces musées, dont on ne parle pas beaucoup, mais qui disposent de collections impressionnantes (nous y avons travaillé avec l’École du patrimoine africain que j’ai l’honneur de diriger), sont tous des musées missionnaires comme la Consolata à Turin, comme le musée national de Lyon ici, qui disposent de collections extraordinaires également sur l’Afrique. Donc il y a une déperdition massive par rapport aux autres situations. Ce n’est pas le cas de l’Égypte. Vous allez au Caire, vous avez exposés 63 000 objets, dans les réserves presque 300 000 objets. Ce n’est pas le cas de la Grèce, il y a les marbres du Parthénon, mais en dehors de ça, les jeunes Grecs savent que la grande culture occidentale, si je puis dire, a ses racines dans et tient beaucoup de la Grèce antique, donc c’est un élément de fierté en quelque sorte, de ce point de vue. » Voir, plus récemment « Stéphane Martin : “L’Afrique ne peut pas être privée des témoignages de son passé” », entretien avec Éric Biétry-Rivierre, Le Figaro, 6 décembre 2017 : « La proportion de ce qui a été enlevé du sol africain et dispersé en France comme dans le reste du monde est considérable. C’est presque la totalité. »

 

[13]poulot, 2014, chap.10

 

[14] Ibid

 

[15] SARR, SAVOY 2018 , p.61

 

[16] SARR, SAVOY 2018, p.66

 

[17] Ibid, p.67

 

[18] http://revealingbenin.com/agencies/tourisme/

 

[19] chacha, 2018

 

[20] AGBOTON Eustache, « Demande de la restitution de biens culturels : une fausse bonne idée », beninculture.com, publié le 8 octobre 2016.

 

[21] https://www.la-croix.com/Culture/Expositions/L-artiste-beninois-Romuald-Hazoume-au-Grand-Palais-pour-Picasso-2015-11-06-1377476

 

[22] https://www.cityzeum.com/guide/le-benin-8946

 

[23]bonhomme, 2019

 

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